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Biodiversité urbaine

Photo du rédacteur: celinarocquetcelinarocquet

Dernière mise à jour : 2 févr. 2022

Appel à textes organisé par Positive Future sur le thème : « La ville en 2100 »


 

Il était midi quand Keya se réveilla. Enfin, nous étions samedi et ce jour de repos bien mérité promettait de bons moments. Du haut de sa tour de 42 étages, au sud de Paris, Keya prit une poignée de grains de café qu’elle moulina avant de le faire infuser dans l’eau bouillante. Le parfum embaumait la cuisine. Elle se délecta de ce breuvage si ancien et pourtant toujours aussi apprécié, regardant au loin le soleil se lever sur les toits de la ville.


Autrefois, ce panorama déployait un enchevêtrement de toits en zinc, évoquant une palette infinie de nuance de gris. Certains formaient de petites taches d’un turquoise éclatant, résultat esthétique de l’oxydation du métal. Les hivers parisiens apparaissaient sur les photos des ses grands-parents comme des périodes bien mornes et triste, baignés dans ce gris omniprésent, du ciel aux trottoirs.

Quelle métamorphose depuis ces temps reculés !


Aujourd’hui, on ne voyait que du vert à perte de vue. Pas un toit, pas une courette d’immeuble n’était pas recouvert de végétation. Des simples plantes couvre-sol attirant les insectes aux fermes d’agriculture permacole urbaines, chaque millimètre était photosynthétique. Même les façades des immeubles modernes se recouvraient de biroéacteurs emplis de microalgues. L’homme n’avait plus qu’à y trouver sa place, humblement et aux service de cette nature reconstituée. Aux abords de la Seine à la périphérie de la ville, on avait même créé des mangroves. Le climat avait évidemment aidé, puisque le réchauffement avait permis d’accueillir des espèces encore introuvables sous ces latitudes une dizaine d’années auparavant.


Ainsi, les grands-parents de Keya avaient été témoins de l’arrivée des perruches, qui furent parmi les premières espèces animales à coloniser Paris. Puis ce furent certaines plantes tropicales. Lorsqu’on parvint à cultiver des agrumes au jardin du Luxembourg et même des manguiers aux Tuileries, la joie des enfants et des leurs parents fut visible. On décida alors de planter des arbres fruitiers partout, et surtout dans les quartiers populaires, afin de favoriser l’alimentation vitaminée des populations fragiles. Chacun avait le droit de prélever pommes, cerises ou oranges. Les SDF en profitaient aussi, comme les réfugiés et les enfants dans le besoin.


Les doigts de Keya enlaçaient la tasse chaude et fumante, qu’elle avait façonnée vingt ans auparavant, lors d’une classe verte. L’atelier proposé à tous ses camarades d’école lui avait particulièrement plu, comme tous ce qui lui permettaient d’exprimer par ses mains un sentiment qu’elle appréciait plus que tout : celui de construire. Fabriquer, réaliser, améliorer, bâtir : telle était sa vocation depuis toute petite. Elle avait toujours su que son existence était associée à une mission. Elle voulait construire un monde meilleur.


Cette journée, paisible, ne le deviendrait pourtant pas.


S’habillant en hâte, elle prit son sac à dos et descendit l’escalier de l’immeuble quatre à quatre. Il fallait depuis déjà plusieurs années un pass pour prendre les ascenseurs. On l’attribuait uniquement aux invalides et aux seniors de plus de 65 ans. La société considérait les autres comme capables - et ils devaient faire en sorte d’entretenir leur corps et leur mental pour l’être - de monter et descendre des escaliers. Cette simple habitude avait parait-il réduit de plus 68% les problèmes de santé comme l’obésité, les pathologies articulaires et cardiovasculaires.

Keya, biologiste de formation, comprenait parfaitement ces problématiques et se dit en souriant qu’elle était heureuse de vivre à son époque.


La rue était bondée à cette heure de la journée. Le flux de la circulation contrastait avec le silence des différents moyens de locomotion. En effet, plus aucun véhicule circulant autrement qu’à l’électricité ou l’hydrogène n’était autorisé en ville. La première pompe à hydrogène, place de l’Alma représentait un premier pas vers une mobilité propre et avait été érigée quasiment comme un monument que les touristes venaient admirer.


Vélos, trottinettes, scooters, bus, tramway et voitures : tous s’entrecroisaient sans jamais se toucher, dans un vrombissement si léger que l’on entendait les oiseaux et les insectes dans les arbres.


« Zut, pensa-t-elle, j’ai oublié mon déjeuner! » Elle repassa sur le toit de son immeuble. Le nombre de pas effectués dans sa journée augmenta rapidement sur sa montre connectée. Son médecin, connecté lui aussi en temps réel à son dossier médical, la féliciterait sans doute. Comme sur chaque bâtiment, une ferme urbaine occupait le toit. Elle prit quelques œufs au poulailler, une salade et des fraises poussant sur des colonnes d’aéroponie, les rangea précautionneusement dans son sac et redescendit. L'effet de se retrouver dans une sorte de jungle aérienne, au milieu de colonnes luxuriantes de fruits, de légumes et de plantes aromatiques alors que l’on se trouvait à des dizaines de mètres du sol, lui semblait toujours aussi magique


Le tramway venait d’arriver à la station et Keya attendit que les passagers eurent fini de descendre pour y monter. Malheureusement, les heurts entre parisiens existaient toujours. On avait beau avoir planté des doubles rangées d’arbres et d’arbustes sur chaque boulevard ou avenue, réduit de 85% la pollution atmosphérique... l’Homme restait l’Homme. Avec ses qualités et ses défauts.



Les discussions allaient bon train par cette journée de printemps ensoleillée. Elle écouta celle de deux jeunes hommes qui semblaient travailler dans le secteur de l’énergie. Ses sens s’éveillèrent et son attention s’intensifia. Ce sujet l’avait toujours intéressée. Ils discutaient de l’efficacité des mini-centrales énergétiques multimodales installées dans chaque arrondissement.


La transition énergétique de la France s’était effectuée grâce à la construction et au déploiement de ces unités mixant différents types d’énergies. Ces unités combinaient plusieurs technologies. Au photovoltaïque issus des panneaux solaires, aux méthaniseurs convertissant la biomasse en biogaz et aux éoliennes installées au sommet des immeubles, s’était ajoutées en 2070 des micro-centrales nucléaires. Celles-ci conjuguaient les bénéfices de cette énergie puissante dont la France était passée maître, même si la Chine la concurrençait de très près, avec un risque réparti et amoindri par la miniaturisation de ces unités. Chaque micro-centrale permettait de fournir de l’énergie à des centaines de foyers grâce au mix énergétique d’une part, et à un maillage de ces unités sur tout le territoire français d’autre part.


Une idée de génie avait surgi un jour, permettant de sauver cette filière industrielle stratégique Française de la déconfiture. Un consortium formé de scientifiques et de startups ingénieuses avaient convaincu les grands industriels comme Orano et Engie d’investir des fonds conséquents pour réaliser une preuve de concept. Puis l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) avait soutenu cette initiative de développement du nucléaire civil aux impacts sociaux évidents et on avait assisté au déploiement industriel de ces structures.

De nombreux emplois avaient été créés, correspondant à différents niveaux de qualification, ce qui avaient revivifié l’emploi et l’économie partout en France.


Quelques stations plus tard, Keya rejoignit le centre dans lequel elle travaillait. On avait beau être samedi, elle devait absolument passer au laboratoire pour surveiller une expérimentation lancée la veille. Avenue Foch, entre les rangées d’arbres et les parterres de carrés potager municipaux baignant dans les rayons de soleil, elle trouva l’entrée de parking qu’elle cherchait et ouvrit la porte blindée grâce à son pass.


Trois étage plus bas, une autre porte sécurisée s’ouvrit, lui permettant d’accéder à ce qu’on appelait autrefois une fourrière. D’ailleurs ce n’était même plus un parking, mais plusieurs hectares de sous-sol réaménagés.


Depuis 35 ans, l’INRAE, l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, et l’INRIA, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique s’étaient associés dans la mise en place de laboratoires combinant agrobiologie et technologies digitales. Grâce aux capteurs, à la transmission d’énergie, à l’analyse de données en temps réel, à la robotisation et à l’IoT (Internet of Things), de nombreuses solutions avaient vu le jour pour automatiser et réguler les productions.



Il en avait été de même dans les espaces souterrains libérés du fardeau de l’industrie automobile mourante. Sous la dalle de La Défense par exemple, sommeillait depuis sa construction un lieu de plus de 20 000 mètres carrés inutilisés. Dans une région où la population croissait autant que ses besoins, cette aberration urbanistique sautait aux yeux. Il avait fallu qu’une graine prenne vie du temps où Patrick Devedjian présidait le conseil départemental des Hauts-de-Seine. Aujourd’hui, des puits de lumière permettaient des cultures destinées à l’alimentation des franciliens, tandis que les zones d’ombres abritaient les élevages d’insectes des sociétés comme Ÿnsect ou Jimini’s.


Afin d’assurer la température minimale de 18 degrés dont les insectes avaient besoin pour se développer, la chaleur issue des immeubles, produite par les humains y travaillant et par les capteurs solaires fixés aux surface verticales, était conduite grâce à une technologie sous vide brevetée par RTE.


L’autonomie alimentaire de la capitale et des autres villes françaises, passait par plusieurs chemins. Tout d’abord, celui du maraîchage traditionnel et de l’élevage, qui s’était adaptés aux surfaces horizontales tels que les toits d’immeubles et de supermarchés, les avenues et les parcs dont on avait agrandi les surfaces. Des moutons, des lapins, des poules et quelques bovidés égayaient les pelouses du parc des buttes de Chaumont et les cours d’écoles. Les petits urbains connaissaient l’art de ramasser des œufs et de tondre les moutons. Bien sûr, certains parisiens avaient commencé par râler, le temps de s’habituer aux chants du coq. Il n’était pas rare qu’en pleine visioconférence de télétravail, on entende un mouton bêler ou une poule glousser.


Comme pour tout, on s’y était habitué.


Les cultures hors sol, en gouttières ou en colonnes, avaient été perfectionnées pour devenir extrêmement productives, ainsi que celles sous serres qui permettaient également de produire été comme hiver des denrées naturelles et saines. Il avait été un peu plus compliqué de développer à grande échelle l’aquaponie, ce système mixte où des aquariums hébergent des poissons fournissant une alimentation riche en protéines animales et des espèce décoratives très appréciées des enfants. L’eau circulait en système fermé pour alimenter les plantes, puis «enrichie» des déjections des poissons, amendait les plantes pour favoriser leur croissance.


Enfin, les stations de métro ou de RER désaffectées avaient laissé place à des champignonnières pour lesquelles les conditions étaient optimales. Chaleur, humidité, aération : le paradis des champignons de Paris et d'autres variétés classiques ou exotiques.


Keya revêtit sa blouse, sa charlotte et ses lunettes de protection. Elle travaillait dans un laboratoire de recherche et développement sur les applications industrielles de micro- organismes. Son objectif avait été déterminé par le Ministère de l’agriculture, conjointement avec celui de la Défense Nationale. Soumise à la confidentialité et à au secret défense, elle parvenait enfin à la fin de la première partie des ses recherches.


Tout avantage scientifique et technologique permettant de nourrir éthiquement la population relevait depuis quelques années de la stratégie militaire. De la défense armée, nous étions passés à une autre forme de guerre. Plus douce, plus essentielle. Il n’était plus question de tuer. Mais bien de préserver les vies de ses compatriotes. Là où le climat et les conflits ethniques ou religieux s’étaient alliés pour faire fuir des milliards de réfugiés, il était devenu primordial d’assurer la survie de son pays.


Le Président français, s’il n’avait pas été le petit-fils d’un agriculteur qui s’était suicidé face à sa situation financière et à la chute mémorable de la France dans ce domaine dans les années 2020-2030, n’aurait pu prendre conscience de cette urgence. Tout autre que lui serait resté dans un schéma voué à la perte du pays. Un gène, un tout petit gène, sans doute porteur du bon sens paysan avait du lui être transmis…


La France s’en était sortie. Sa stratégie agricole et énergétique, passée de force auprès de français bougons et conservateurs, avait fini par payer assez rapidement. Il avait fallu une génération pour renverser le modèle. Gandhi aurait qualifié ce changement de paradigme de «Révolution sans violence». Le Dalaï-lama l’avait félicité, et le Prix Nobel de la Paix avait été remis au Président. Il pouvait dormir tranquille, sans grand-père aurait été fier de lui, et une nation entière lui devait la qualité de vie actuelle. Son nom illustrait de nombreuses rues, dans quasiment chaque ville, aux côtés des avenues du Général de Gaulle et autres boulevards Jean Jaurès.


Keya était fière de travailler à l’autonomie de son pays et de ses habitants. Sa vocation de changer le monde servait chaque jour l’avancement de son travail.


Ce jour-là, elle utilisait l’ADN d’un virus pour fabriquer une bactérie surproduisant une molécule destinée à l'industrie pharmaceutique. Car après l’alimentation et l’énergie, le troisième enjeu stratégique de la France était la santé. Afin de ne plus dépendre de laboratoires américains ou chinois, le gouvernement misait sur le pharming microbien. L’idée était simple : valoriser ou créer les microorganismes capables de fabriquer les médicaments du futur personnalisés.


Alors qu’elle était concentrée à pipeter les précieuses gouttes d’un prélèvement de plasma, elle sentit comme une présence dans le laboratoire. Personne en principe n’aurait du s’y trouver hormis elle. Ne pouvant se retourner, elle demeura absorbée par sa tâche.


Un léger bruit, comme un frottement, se fit entendre un peu plus tard. Seule, au milieu d’un laboratoire aseptisé, à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, elle réalisa qu'elle ne se sentait pas sereine.

Personne ne l’entendrait si elle en avait besoin.


Une montée d’adrénaline fusa accélérant les battements de son cœur. Ses mains, moites, tremblèrent légèrement. Suffisamment pour laisser échapper la pipette qu'elle tenait, qui se brisa sur le carrelage froid.


Agacée, inquiète et les sens en éveil, Keya se mit à chercher un balai. Mais dans ce laboratoire où chaque chose était soigneusement rangée à sa place, où chacun était responsable de ses propres tâches, elle ne savait pas où chercher. Jamais elle n’avait eu besoin d'un balai. Les femmes de ménage passaient très tôt le matin, ou très tard le soir, elle n'en avait donc aucune idée. D’ailleurs, cela lui était bien égal de savoir où se trouvait le placard à balais. La tension montait, comme si elle enserrait sa tête. Elle se sentit pressée d’achever son expérience et de remonter à l’air libre.


Contrairement aux journées de la semaine durant lesquelles tous les collaborateurs s’affairaient dans le laboratoire, celui-ci était désert et silencieux. Silencieux... non pas vraiment. Elle percevait un bruit. Comme de petits pas feutrés.


Un mauvais pressentiment l’envahit.


Une odeur âcre commençait à s'infiltrer dans le couloir. Cela lui rappelait un endroit, mais elle ne savait plus très bien où. Elle avança lentement, en regardant sur les côtés, à la recherche du moindre signe qui lui permettrait de comprendre ce qui se passait. Et surtout de trouver de quoi nettoyer le verre et les produits répandus au sol.


Ça y est, cela lui revenait. Cette odeur. C'était à la station Madeleine de la ligne 14 du métro. La dernière à devoir être rénovée. Cette station était profondément enfouie sous terre. L’odeur était celle des égouts parisiens qu'elle côtoyait, âpre et terreuse comme de la vase stagnante.


Keya ouvrit l'une des portes du couloir principal, sur laquelle aucun nom de chercheur n’était gravé. Se disant qu’il devait s’agir d’une pièce de service, sa main se posa sur la poignée.

Le temps sembla s'arrêter.

Lorsqu’elle ouvrit la porte brusquement, comme pour éloigner en même temps la peur qui l’étreignait, elle hurla.


Des dizaines de rats grouillaient sur le sol du cagibi. Elle recula au contact des petits corps gigotant autour d’elle et sauta plus qu’elle ne grimpa sur le bureau le plus proche. Ils s’éparpillèrent dans le laboratoire.


Comment ces rats étaient-ils parvenus jusque là ? Jamais cela ne s’était produit.

Il devait y avoir une explication.

Keya reprit ses esprits et appela son directeur de recherche, puis la police.


Moins d’une demi heure plus tard, une dizaine de personnes fouillaient le laboratoire, tuant les rats, que Keya finit même par prendre en pitié : les pauvres, ils n’avaient rien demandé.

Elle entendit le lieutenant de police féliciter ses agents car l’un d’entre eux avaient trouvé d’où les rongeurs étaient venus.


Une ouverture avait été creusée dans un mur, au niveau de l’aération. Le trou reliait directement le laboratoire aux égouts, ce qui expliquait l’odeur nauséabonde et l’entrée massive des rats.


Les policiers interrogèrent Keya. Ils découvrirent que ce passage menait effectivement aux égouts de Paris.

La DGSE reprit la suite de l’enquête et de fil en aiguille, remonta jusqu’à une filière de renseignement étranger (elle ne sut jamais de quel pays) qui cherchait à voler des résultats de recherche du laboratoire.


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