La chaleur des rayons et la clarté éblouissante marquaient bien le fait que le printemps avait fini par s’installer. Malgré un terrible froid qui avait surpris tous les êtres vivants le long du chemin des gouttes, les bourgeons s’étaient enfin gorgés de sève avant de déployer leurs ailes de chlorophylle.
Ainsi, la ramure des arbres s’était étoffée. La palette des nuances de vert que l’on pouvait distinguer dans les bois et le long des ripisylves.
La faune avait accompagné cet élan de vie dont la flore avait timidement fait preuve après les températures extrêmes du mois d’avril, gelant les premiers bourgeons et fleurs. Quel désastre pour la nature, alors que celle-ci avait fait preuve de zèle, pressée de montrer sa beauté renouvelée. Le givre avait pendant plusieurs jours, qui avaient semblé interminables, remplacé la rosée sur l’herbe et les feuilles d’un vert encore tendre. Avec quelques semaines de retard, les larves d’insectes laissaient dorénavant place à leur forme plus mature. Et le cycle recommençait, reprenant ses marques. Animal ou végétal, tous semblaient pressés de rattraper le retard.
Avide de découvrir le monde qui l’entourait, Elyo virevoltait en tous sens, perdu par les multiples parfums qui l’enivraient. Il ne savait pas par quelles fleurs commencer, tant les couleurs, les saveurs et les fragrances l’attiraient. Il pensait que c’était le plus beau jour de sa vie.
Mais il ne se doutait pas de la tournure que prendrait cette journée.
Bam !
Un énorme objet qu’il ne connaissait pas passa brutalement à côté de lui. Petite guêpe qu’il était, il n’eut pas l’arrogance de penser qu’il était le centre de l’attention de celui ou celle qui dirigeait cette agressivité. Et pourtant il réalisa que c’était bien lui que l’on essayait de frapper. En observant autour de lui, il s’aperçut que d’autres guêpes de son nid avaient été lamentablement aplaties et gisaient sur le sol. Que faire? Le nid n’était pas loin, mais des cris d’humains effrayés se faisaient entendre et l’empêchaient d’emprunter son trajet habituel. Alors Elyo prit son courage à deux ailes et se mit à fuir dans le sens opposé. Il s’isolait de plus en plus de son groupe, de sa famille, mais cela lui était égal. Il voulait survivre.
Une abeille butinait le nectar d’une fleur de trèfle incarnat. Il s’approcha et l’imita. Il trouva cela délicieusement bon. Elle le regarda avec mépris, comme si une guêpe ne valait rien face à une abeille. Elles au moins étaient appréciées des humains, pour le miel qu’elles produisaient. Pas un jour ne passait sans que l’on parle d’elles et de leur rôle indispensable de pollinisatrices dans la chaîne alimentaire.
Elyo se posa ensuit sur des fleurs de lavande, de sauge et de roses.
« A quoi puis-je bien servir si je ne peux fabriquer le miel comme les abeilles? Je ne suis qu’un parasite» se dit-il avec tristesse. Il en profita pour se nourrir de quelques pucerons et d’une belle chenille dodue. Mais son esprit se rembrunit, réalisant son éloignement de la colonie et maintenant parfaitement convaincu de son inutilité en ce monde. Pire, il estimait que les guêpes constituaient l’un des pires groupes d’insectes pour les humains. Ceux-ci développaient tous les moyens mécaniques ou chimiques pour les tuer. Triste destinée… D’autant plus que des cousines éloignées venues du Japon leur faisaient vraiment une mauvaise réputation.
Broyant du noir, Elyo se dirigea vers des fruits trop mûrs disposés dans une corbeille trônant au milieu de la table de Monsieur Steiner. Cinq bonnes minutes plus tard, son vol se réduisait à des zigzags, ivre qu’il était par le sucre fermenté d’une banane ayant dépassé son âge d’or, et de quelques autres fruits blets. Mais il ne pouvait s’en empêcher, il adorait le sucre. Surtout quand il n’avait pas le moral. Complètement saoul, il tituba et se reposa sous le rebord de l’assiette, le temps de reprendre ses esprits.
Or M.Steiner était un fermier de la région. Un peu bourru, un peu grognon, mais avec un bon fond. Veuf, il gérait son exploitation du mieux qu’il pouvait, avec beaucoup de bienveillance envers la biodiversité qu’il observait. Mais parfois, il se sentait dépassé par des limaces trop envahissantes, des gelées remettant en question ses productions, ou des insectes nuisibles contre lesquels il se sentait totalement impuissant. Alors qu’il se lamentait de toutes ces calamités qui l’affligeaient simultanément, Elyo eut un déclic.
Il se sentait inutile et haï par les Hommes. Pourtant, revigoré d’une énergie retrouvée (et encore un peu ivre), il partit chercher ses camarades du nid et revinrent tous ensemble dans la propriété de M. Steiner. Ils se délectèrent des insectes qui ravageaient les cultures de pois, des chenilles à peine pondues dans les poires, les condamnant ainsi, s’abreuvèrent du jus de raisin, laissant derrière eux des piqûres bénéfiques aux levures qui participeraient à le transformer en vin, et en profitèrent même pour polliniser le figuier.
M. Steiner n’en crut pas ses yeux. Il se protégeait mais comprit les immenses services que les guêpes étaient en train de lui rendre.
Elyo se sentait utile. Indispensable même ! Et depuis ce jour, les guêpes firent partie de la ferme de M. Steiner. Il leur laissaient toujours les fruits trop mûrs en offrande de remerciement, au pied de la fontaine.
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