Concours de nouvelles organisé par Auteur-en-live sur le thème : « Noël ».
Matin froid de décembre. Dimanche, certes. Mais froid. Je n’aime pas le froid… La campagne me déprime avec ses champs nus à la merci des corbeaux. Les arbres morts donnent un aspect de cimetière végétal aux collines pourtant si verdoyantes l’été. J’aimerais hiberner pour ne pas voir tout cela : m’endormir sous la couette douillette et me réveiller pour voir éclore les premiers bourgeons.
Novembre est passé, le plafond nuageux s’installe donc au dessus des immeubles. La grisaille froide et humide est cependant synonyme de journées intérieures. Le canapé devient mon meilleur ami et la pile de livres mon carburant, pour vivre l’hiver une tasse de thé fumant à la main.
Cette année cependant, la période est sensiblement différente des précédentes. Le confinement a eu raison de mes sentiments. La rupture n’en a été que trop évidente, créant un vide. Le syncrétisme a finalement laissé place au schisme.
Après avoir franchi le cap, dépassé mes peurs, ignoré la pression familiale, je me retrouvais seule. Très seule. Trop seule.
J’avais beau clamer que je détestais la foule, le bruit et les enfants des autres, je n’étais pas préparée à affronter la vraie solitude à durée indéterminée. L’arrogance de mes discours devant les gens que j’essayais d’impressionner m’avait convaincue. La force de l’auto-persuasion m’avait bien aidée durant différentes périodes de ma vie difficile.
Ce dimanche m’était tombé dessus comme un énorme bouquin mal rangé de la bibliothèque. Et cela faisait mal.
Je sortis acheter de quoi grignoter pendant ma lecture, dans la rue la plus animée, la plus commerçante de mon quartier. Inconsciemment, j’avais besoin de percevoir d’autres individus de mon espèce. Les entendre, les voir, me frotter à eux dans une rue bondée, en sentir les parfums. Bref, me sentir comme eux.
« Bonjour Madame, comment allez-vous? Cela fait quelques temps que vous n’êtes pas venue ! Le primeur était toujours aussi aimable et bon commerçant, reconnaissant chaque client. Pas étonnant qu’il ne m’ait pas vue depuis longtemps. Depuis ma rupture, j’avais troqué les fruits et légumes contre des chips goût paprika et des Snickers. Comme personne ne pouvait plus critiquer mon alimentation et que je me fichais dorénavant pas mal des bourrelets, j’y étais allée à fond sur la junk food. Une vraie ado.
- Ça va, lui souris-je de façon un peu forcée.
- Que prendrez-vous aujourd’hui ? J’ai de belles oranges délicieusement juteuses et sucrées.
- D’accord… mettez-m’en dix s’il vous plaît, lui répondis-je, pas tout à fait convaincue. Au moins quelqu’un pensait à ma santé. Un shoot de vitamine C me ferait du bien pour affronter les miasmes qui se préparaient à envahir métros et bureaux.
Quelques pommes de terre et un poulet rôti plus tard, je repris le chemin du retour. Les effluves s’échappant de mon sac me donnaient faim.
J’avais eu ma dose de sociabilisation, et les familles nombreuses commençaient déjà à me taper sur les nerfs, avec leurs gamins en trottinettes, et des poussettes surchargées.
Alors que je montai les escaliers, la conscience tranquille en me disant que je perdrais quelques calories prises ces derniers mois, mon sac se prit dans l’une des volutes en fer forgé de la rampe. J’étais presque arrivée à ma grotte d’ermite du cinquième étage.
Et là, ce fut la catastrophe. Les oranges se mirent à dégringoler, sur les marches. La petite fille du deuxième, rentrant de l’école, éclata de rire. Je la fusillai du regard et elle se tut instantanément.
Tandis que je ramassais les différents éléments éparpillés de mon ex-futur-excellent repas, une main me tendit une orange lamentablement tombée sur le carrelage du rez-de-chaussée. Mon regard remonta ce bras serviable et je reconnus mon voisin du quatrième étage. Il semblait amusé, mais je ne sais pas pourquoi, je ne le pris pas comme une moquerie. Je crois que je suis restée bloquée comme cela, à moitié penchée, en le regardant. Cet instant a-t-il duré plusieurs secondes? J’ai du passer pour une imbécile. Surtout dans cette position. Je me relevai finalement et le remerciai.
Ma voix n’était que chuchotement. Mais où était passé mon timbre assuré habituel?
Alors qu’il m’aidait à rassembler ce qui était épars, je remarquai la marque de bronzage à son annulaire gauche. Il me semblait pourtant qu’il était marié. Raison pour laquelle je ne le connaissais pas vraiment. J’avais toujours détesté ces dîners organisés entre couples voisins où l’on imaginait devenir amis.
« Marc. Enchanté, me dit-il en me tendant la main.
- Alexandra, répondis-je très rapidement.
- Vous avez tout récupéré?
- Heu oui, je crois. Merci encore, c’est sympa de m’avoir aidée.
Souriant, il rentra chez lui. J’essayais de glisser un regard à l’intérieur pour voir si un détail féminin confirmait mon hypothèse. Je ne vis rien de tel et restai donc dans le doute.
Les jours suivant furent ponctués de souvenirs comme des étincelles qui m’embarrassaient. Son visage, ses mains, son sourire : j’étais embrasée et rêvais d’être embrassée.
Chaque raison de sortir devenait une opportunité de le croiser. Je n’osais pas sonner à sa porte, mais ralentissais en passant devant son étage.
J’eus une idée.
Je déplaçais l’un des courriers reçus dans ma boîte aux lettres dans la sienne. Ainsi, je forçais le destin en l’obligeant à me la restituer.
Deux semaines passèrent et aucun signe de sa part. Étonnant. Le mois de décembre avançait et l’idée de passer les fêtes seule détruisait toutes mes velléités de remonter mon moral, tombé si bas. Même descendre à la cave me semblait plus gai. Les vitrines et les yeux des enfants scintillaient. Et mes espoirs s’éteignaient. Résolue enfin à ignorer Noël, je préparai une bonne dizaine de livres et de bandes dessinées à lire ce soir là, sans me préoccuper le moins du monde - enfin c’est ce que je tentais de me mettre en tête - des festivités des autres. Si j’avais pu me boucher les oreilles et fermer les yeux sur le monde, comme ces trois petits singes de la sagesse de Chine, je l’aurais fait immédiatement.
Le jour, le fameux que tous attendent devant leur dîner plein de rires et de cadeaux, arriva finalement. Comment en aurait-il pu être autrement? Même la pandémie n’a pas pu changer le calendrier.
Je me préparais tout de même un dîner léger constitué de foie gras sur des toasts et d’une bouteille de Sauternes. N’ayant pas trouvé de petit format, je m’étais rabattue sur une bouteille normale. Cela ferait trop, mais je n’étais pas à l’abri de vouloir la boire toute seule, dans un accès de déprime festive.
Quelqu’un toqua à la porte.
Je n’attendais personne.
« La sonnette est cassée, j’ai toqué. Désolée de vous déranger.
Je restai sans voix. Puis un sourire illumina mon visage.
- Mais, mais… je croyais que vous n’habitiez plus ici ! Je ne vous croisais plus depuis longtemps.
- Longtemps? s’étonna-t-il. Je ne suis parti en déplacement que deux semaines, puis je suis tombé malade.
- Ah bon, ce n’était pas grave au moins? Vous auriez du m’appeler.
- Je n’avais pas votre numéro, et puis je n’aime pas voir du monde quand je suis malade. Merci quand même.
Je réalisais qu’il se trouvait toujours sur le pas de la porte.
Alors je l’invitai à entrer.
« Au fait, une lettre qui vous était destinée se trouvait dans ma boîte aux lettres. La voici.
- Merci beaucoup ! Répondis-je, en prenant l’air le plus étonné du monde, selon mes critères du jeu d’acteur, appris en regardant l’émission de l’Actors Studio durant mon adolescence.
- J’en ai profité pour apporter ça aussi. Il dévoila une magnifique bûche de Noël, et la posa à côté de mon dîner. Cela ne vous dérange pas? Il avait du comprendre que j’étais célibataire, ou bien avait demandé au gardien de l’immeuble qui savait tout sur tout le monde.
Les plus belles surprises sont les moins attendues. Celles qui réchauffent le cœur.
Ce fut le plus beau Noël de ma vie. Et une nouvelle histoire commença…
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