Appel à textes organisé par la Médiathèque de Pornic sur le thème : « 20 ans, 20 mots ».
Résumé
Le littoral de Bretagne est source d’aventures et d’histoires merveilleuses. Enfants devenus adolescents puis adultes : les années passent. Mais le souvenirs restent ancrés…
Je me souviens très bien de lui. Il n’avait alors que quelques années et son imagination l’emmenait déjà très loin. Les caps ne lui faisaient pas peur, les courants non plus. Sur sa caravelle ou sur son radeau, les vagues fouettant son embarcation lui rappelaient que la vie ne serait pas facile.
Heureusement, sous le grand chapeau qu’il avait emprunté à son grand-père, maintenant trop âgé pour le porter aux champs comme il l’avait toujours fait, Armel regardait au loin, vérifiant régulièrement que des pirates ne s’approchaient pas. Pauvre chapeau, sa forme avait été revue par le jeune moussaillon afin de ressembler au tricorne du redouté Barbe Noire.
J’adorais le voir tout joyeux, sautillant et dansant, au gré de la musique que lui seul entendait.
Parfois, il déterrait tout près de moi un petit coffre. Il feignait de découvrir le plus grand des trésors, celui qu’un pirate aurait caché des siècles auparavant, laissant uniquement la destinée d’Armel s’en emparer. Cette cache lui était si précieuse ! Des caramels au beurre salé constituaient la majeure partie du butin, agrémentés de géodes ramassées sur le rivage, et quelques bouts de bois poli et blanchi par les marées.
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Lorsqu’il était absent, sans doute studieux sur les bancs de l’école, ou rêvant d’exploits incroyables, c’était au tour de Norig et Maël de se donner rendez-vous. Dans mon souvenir, leur bonheur coulait, fondant sous les rayons du soleil. Si un papillon venait à se poser sur l’épaule dénudée de la jeune fille, Maël se mettait à chanter doucement, sur un air que sa mère lui avait appris. Tout en caressant la peau du visage de son amie hâlé par l’été, il admirait son corps et ses manières gracieuses. Elle lui semblait trop belle, trop précieuse pour lui qui était un simple fermier. Ses mains témoignaient de la dureté de son labeur, et sa peau se tannait déjà, au fil des heures passées sur ces terres venteuses.
Ce temps en partage, au bord de l’océan, était pour eux un tel plaisir que jamais l’idée qu’il ne dure éternellement ne les effleura. Ils étaient si beaux qu’un homme de passage dans la région les prit en photo, gravant ainsi le souvenir de leur amour.
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Le soleil, une fois couché, laissait place à un ciel en dégradé, digne d’un tableau pointilliste. Le calme était parfois interrompu par des éclats de voix et de rire provenant de jeunes hommes avides de s’amuser. Je me souviens des soirées improvisées par Jean, Maxime et leurs cousins, si le temps le leur permettait. Il s’agissait de véritables invitations à profiter d’une vie d’adulte à peine entamée.
A l'abri des regards de leurs parents, ambitionnant plutôt des carrières de notables que des beuveries, ils avaient trouvé ce joli coin entre terre et mer. Quelques bières, ou quand l’occasion se présentait une bouteille de champagne, permettait de fêter un fin d’année d’étude ou tout simplement à savourer leur amitié.
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Ce fut bien plus tard qu’un livre apparut dans les librairies. La date exacte ne m’est pas restée en mémoire, mais 20 ans étaient passés. A Pornic, tout le monde se réjouissait qu’un ouvrage mette à l’honneur le passé de cette ville et de sa région à travers maints descriptions, poèmes et photographies aux couleurs locales resplendissantes. Les frêles rayons blancs que l’on chérit l’hiver faisaient place à la page suivante aux douces et chaudes lueurs des soirs d’été. On entendait presque les vagues dont le bleu sombre contrastait avec l’écume moussante lorsque le regard se posait sur les clichés, témoins d’instants uniques. Ce livre fut l'objet de plus d’un cadeau.
Car plus que des photos, c’étaient les sentiments et les émotions qui resurgissaient. Chacun se remémorait ses propres souvenirs. Les miens en tout premier lieu. Car sur chacune d’entre elle - ou presque - je figurais d’une manière ou d’une autre.
Au détour d’une page, un petit garçon devenu adulte y retrouva son embarcation de pirate face à la mer terrible. Ses yeux se plissèrent, laissant une larme couler sur son sourire.
Des parents dont la vie professionnelle les embarqua dans plusieurs villes du monde, purent montrer à leur progéniture le lieu de naissance de leur amour, justifiant ainsi l’importance de passer leurs étés à Pornic.
Quant aux notables de la région, ils commentèrent pendant des heures les pages qui avaient réussi à dénicher les meilleurs recoins de la région, notamment celui qui abritaient leurs fêtes improvisées. L’occasion était trop belle, ils y retournèrent une coupe à main, face au soleil écarlate, afin de commémorer ces instants inoubliables.
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Chaque photo parlait de moi. Mon âge se perdait dans des ères géologiques anciennes. J’avais vu passer tellement de bateaux, d’hommes, de femmes et d’enfants depuis des siècles. Des milliards de vagues m’avaient rafraîchi depuis des millénaires, et j’étais toujours bien là. Ces 20 dernières années sont passées si vite. Pourtant je me rappelle de chaque personne que j’ai sentie contre moi. Malgré mes formes anguleuses, ils se sont tenus debout, posés, assis, allongés. J’ai partagé des moments importants de leur vie, en ayant l’impression de les avoir soutenus quelles que soient les émotions qu’ils ressentaient. Ce qui me touche profondément aujourd’hui est que chacun d’entre eux, sans le témoigner directement, intègre le rocher que je suis au cœur même de leurs meilleurs souvenirs.
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