top of page

Permanence et impertinence

Dernière mise à jour : 2 févr. 2022

Appel à textes organisé par A propos d’écriture / Reticule sur le thème : « Flux ».

Écoulement, mouvement, transfert ou déplacement de liquides, de biens, de services, d’argent ou de personnes. Flux de données, flux économique, flux d’énergie, etc. Il s’agit ici d’écrire des histoires ou des essais parlant de flux en tout genre. La ligne éditoriale de Réticule se veut ancrée dans le présent, parlant de sujets de société qui peuvent avoir une résonance intime en chacun de nous.


 

Je vous suis essentiel.

Je suis tout petit mais bien réel.

J’existe depuis des milliards d’années.

Peut-être même plus : je ne sais pas quand je suis né.

Vous me connaissez. Bien plus que vous ne le pensez.



Présentation


J’existe sous différentes formes et états

Souvent accompagné. Seul parfois.

Dans tous les cas je circule à travers les flux de matière,

Au Ciel comme sur la Terre, et même dans ses entrailles,

Faute de pouvoir un jour en trouver d’autres comme moi dans l’univers.

L’Homme a pourtant cherché, et jusqu’à atteindre ce but il continuera ce travail.


Avez-vous enfin deviné de quoi je suis formé?

Je vous donne encore quelques indices afin de vous aider.


Mon nom est simple, symbolisé par une lettre,

Comme un croissant de lune, qui de sa hauteur régule les marées.

Je n’ai ni goût ni odeur, mais sans moi vous ne connaîtriez pas la sensorialité.

Rien ne se perd, rien ne se crée,

Comme le dit Lavoisier.

Ma vie n’a aucun sens particulier

Puisqu’elle est flux, cycle et continuité.

Dans sa forme complète,

Carbone m’a-t-on nommé.


Sur le plan de la biologie et de la chimie, me voici.


Je représente un élément majeur constituant notre monde, et plus particulièrement le monde vivant. Il faut donc avoir conscience de ma présence dans le moindre être animal, végétal ou microbien, puisque je représente une brique élémentaire de la matière dite organique.

Présent sous forme de gaz dans l’air que vous respirez, je circule en flux continu de l’air aux plantes puis aux animaux qui s’en nourrissent. Et de fil en aiguille, me voici passé de l’état gazeux à celui de solide, sous la forme de molécules d’une variété phénoménale. Sans moi, les protéines aux sucres en passant pas les lipides et quantité d’autres substances ne pourraient assumer leurs rôles essentiels dans les métabolismes. C’est bien grâce aux végétaux, seuls organismes capable de fabriquer de la matière organique à partir des rayons du soleil et de sève brute - la photosynthèse - que vous en bénéficiez.


Partons du principe que je flotte dans l’air, sans m’être accroché à la couche d’ozone, et que je sois absorbé par un pommier dont les fleurs pollinisées ont donné un joli fruit. Appétissant comme il est, un enfant le mange et les protéines contenues sont fragmentées par les réactions de digestion en acides aminés. Ces molécules, dans lesquelles je suis très présent, serviront ensuite à former de nouvelles protéines. Celles-ci formeront par exemple les cellules de la peau de cet enfant. Le cycle biologique cutané de 28 jours amèneront certaines protéines à être dégradées ou à quitter l’organisme sous forme de peaux mortes lors de la desquamation naturelle. Je me retrouve donc dans la Nature, ingéré de nouveau sous forme de protéine ou d’autres molécules issues de leur décomposition. Et le flux me porte vers un nouvel insecte ou micro-organisme. La chaîne alimentaire étant ce qu’elle est, je vivrai un certain nombre d’étapes : de la limace au rongeur puis je vivrai dans le corps d’un oiseau avant de connaître l’industrie. Mais que je sois congelé en Suède, mis en boîte de conserve à Mexico ou simplement mis au frigo à Canberra, je parcourrai sans doute des milliers de kilomètre avant de voyager de nouveau dans un œsophage humain.


Cependant, si l’enfant n’avait pas croqué dans la pomme, alors je serais tombé à terre comme Newton l’avait prévu, et transporté ensuite dans les méandres souterrains des galeries creusées par les lombrics. J’aurais peut-être voyagé dans le tronc d’un arbre avant de me retrouver sous forme de pâte à papier. Aurais-je été livre de la Pléiade ou devoirs de mathématiques ? A moins que je n’eusse poursuivi mon chemin comme papier hygiénique. Moins glorieux mais tout aussi utile. Il n’y pas de sot métier. L’omniprésence me caractérise.


De la physique à la métaphysique


De l’aspect matériel de mes pérégrinations, une réflexion plus transcendantale émerge. Certains l’avaient déjà comprise et discutée depuis plusieurs millénaires, comme les Indiens et les Asiatiques à travers leurs philosophie respectives.

Toutefois, d’autres cultures voient d’un œil méfiant, voire malveillant la métaphysique qui me porte depuis des milliards d’années.

Cela est bien normal, je peux leur pardonner, mais s’ils daignent ouvrir les yeux, les trois, ils verront distinctement les questions ontologiques. Le flux que je représente, comme celui de mes amis, les atomes d’oxygène et d’hydrogène, dont je vous pourrais vous raconter l’histoire dans une autre fable, est interminable. Il ne commence ni ne s’arrête, et vous humbles humains, n’en êtes que des maillons éphémères. Au même titre que la feuille de papier hygiénique - excusez-moi de la comparaison mais elle est vraie - ou que la noble fleur de lys, vous me portez en vous en quantité importante… mais toujours temporaire. Vos cellules et vos molécules évoluent et changent en permanence. C’est toute l’ironie ! Votre impermanence est ma permanence.


Alors cela déplaît à ceux qui voudraient croire qu’ils naissent et meurent. Pourtant, n’est-ce pas une merveilleuse nouvelle que de savoir que je perdurerai après votre trépas? Qu’un peu de vous-même survivra toujours à travers d’autres organismes?

Je suis votre immortalité, puisque dans plusieurs milliards d’années, vos atomes de carbone, ceux qui vous constituent aujourd’hui, ceux que vous avez laissé derrière vous hier, et ceux que vous ingérerez demain, c’est-à-dire moi dans tous les cas, seront toujours présents sur la Terre.


La mort n’existe pas.

Le flux de matière, ou à une échelle plus fine, d’atomes, est continu et infini.

Réincarnation, recombinaison.

Quelle que soit l’appellation, il est une vérité : la définition de la vie repose sur la notion de flux. J’en suis un exemple, comme le sont mes confrères. Les atomes ne se créent pas, ils ne disparaissent pas.

L’énergie est un autre flux, parfois contenue, parfois exprimée, mais toujours présente.


Nous sommes le monde, vous êtes des formes transitoires, et celles-ci sont parfois très belles.


Je suis le carbone, source de vie, source de technologie aussi.


Ce tout petit atome que je suis, avec ses 6 protons et 6 électrons, à quoi peut-il servir en dehors de fournir les molécules essentielles des êtres vivants ?

Mes fonctions sont diverses, lorsque l’on me donne un électron supplémentaire, je deviens radioactif et peut permettre de dater les fossiles.


Lorsque la pression et la température de la croûte terrestre montent, elles me compressent et je deviens la plus belle gemme du monde. Celle que tous recherchent, que tous s’arrachent : le diamant. Je confère son éclat à l’alliance de la mariée, créant un arc-en ciel permanent par diffraction de la lumière. Mais pour quelques grammes de carbone, des enfants meurent chaque jour dans des mines dangereuses, exploitées par des hommes d’affaires sans scrupule et sans humanité. Pendant ce temps, des écoliers studieux usent leur mine de crayon à dessiner des montres ou des fées. De 2H à HB ou 2B, selon la force du trait, je chuchote ou je crie.


Je suis par ailleurs très doué et peux former des fibres dont la technicité permet aux plus grands sportifs de gravir des montagnes, gagner des courses cyclistes effrénées ou skier à 250 km/h.

Le graphite est une espèce minérale qui est, avec le diamant, la lonsdaléite et la chaoite, l'un de mes allotropes naturels. De couleur noire et d'éclat métallique, il est le produit naturel du métamorphisme de la matière carbonée dans les roches sédimentaires.


Vous le voyez maintenant, je crée un flux constant, du centre de la Terre aux Cieux, en me métamorphosant sous des états extrêmement variés. Je pénètre même vos esprits et vos coeurs, jusqu’à votre spiritualité.


Lorsque vous regarderez votre solitaire,

Lorsque vous écrirez un mot doux avec votre criterium,

Lorsque vous expirerez lors de votre prochaine séance de yoga ou de running,

Lorsque vous caresserez du regards le feuillage de votre plante préférée,

Lorsque vous croquerez dans la belle pomme rouge comme Blanche-Neige,

Lorsque vous imaginerez ce que vous deviendrez juste après votre décès,

Alors vous vous souviendrez qu’à chacun de ces instants, il s’agit de moi.


Et je vous serai grée de cette pensée.


10 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

BabelIA

bottom of page